Those Who Walk the Land, de Sabreen Haj Ahmad

À l’occasion de l’exposition Those Who Walk the Land, l’ICI a invité la critique d’art Caroline Honorien à poser ses mots sur le travail de Sabreen Haj Ahmad

Originaire de Jénine, Sabreen Haj Ahmad interroge l’arsenal de la violence coloniale contre la nature. Sa réflexion s’intéresse à la fois à l’écologie et au rapport autochtone au monde. 

Those Who Walk The Land est une série d’aquarelles qui met en images les récits de femmes en Palestine et dans la diaspora. Mères, filles et sœurs racontent l’arrachement à la terre et la persistance de la transmission.

Des figures féminines et des animaux emblématiques de la culture palestinienne (serpents, ânes, chameaux) habitent un monde flottant où la ligne d’horizon ne sépare pas le ciel de la terre. Les figures s’appuient sur la paume des mains et la plantes des pieds de l’artistes qui les a détourées sur la feuille qu’elle peint à même le sol.

Tout commence sur terre ; là où le jasmin et l’orchidée fleurissent ; où la vigne et les oliviers s’enracinent ; où la gourmandise des chèvres noires empêche les buissons piquants de s’embraser ; où les abeilles fendent l’air chargées de pollen et où les fourmis labourent les sols. L’européanisation des paysages, mise en place par l’importation de pins ou d’espèces d’oiseaux invasives, constitue l’une des armes d’un effacement programmé du paysage.

Tout commence sur terre, là où les mères enlacent les dépouilles de leurs fils avant de les laisser reposer. Là où leurs larmes gonflent les sillons des cours d’eau et irriguent les coquelicots, symboles des morts. Sabreen Haj Ahmad insiste sur les relations de soin en contexte colonial : le cordon ombilical et les sutures des broderies témoignent d’un rapport holistique à la terre, à la fois matériel et spirituel. Ses aquarelles, parfois métallisées, deviennent des enluminures, reprenant des compositions observées dans les lieux de culte chrétiens et musulmans de son enfance. Le paysage se fait monument.

La violence contre la terre fonctionne comme celle du bulldozer : elle efface les traces de l’histoire palestinienne, tente de recouvrir les souvenirs et de dissimuler les lieux d’habitation, de culte et de mémoire.

Il y a 70 ans, l’armée israélienne détruisit de nombreux villages palestiniens. Des pins furent plantés au milieu des ruines des maisons pour les dissimuler. Mais les racines des arbres ont fini par faire remonter les pierres des fondations à la surface. « Le peuple », disait Kateb Yacine, « ne fait pas la résistance pour son paysage, mais avec son paysage ». Car tout commence sur terre, là où l’orchidée, le jasmin et le coquelicot jamais ne flétrissent.