"L’esprit du geste", commissariat de Sonia Recasens
Du 05 octobre 2024 au 16 février 2025, l’ICI — Institut des Cultures d’Islam vous invite à découvrir l’exposition collective L’esprit du geste.
Texte d’introduction
« Notre tradition est révolutionnaire, notre tradition est futuriste » affirmait l’artiste marocain Mohamed Chabâa, figure historique de l’École de Casablanca qui prône entre 1962 et 1974 la valorisation du patrimoine artistique séculaire et des savoirs vernaculaires. Dans la lignée de cette dynamique postindépendance décloisonnant les hiérarchies entre beaux-arts et artisanat, l’exposition L’esprit du geste œuvre à déconstruire une vision ethnocentrée et patriarcale des pratiques traditionnelles.
Prenant comme point de départ les mots clés transmission, hybridité, savoir-faire, patrimoine, matrimoine, rituels et gestes, l’exposition se nourrit de mes souvenirs d’enfance, de ces étés passés auprès de ma famille dans les grandes villes comme dans les campagnes du Maroc à observer les mains agiles de mes tantes et grands-tantes confectionner le trousseau de la future mariée ; masser et gommer les corps ; pétrir la pâte à pain ; laver et plier le linge de maison ; préparer l’onguent de henné… Des mains ridées et tatouées, qui prennent soin des maisons et des corps, performant des rituels quotidiens dans l’intimité de l’espace domestique. Ancrées dans ma mémoire, ces mains pleines de grâce qui transmettent amour et savoir-faire, soin et poésie, tendresse et beauté, composent un langage visuel et corporel d’une puissance esthétique universelle, auquel rend hommage L’esprit du geste.
Entrecroisant les registres de l’art, de l’artisanat et du domestique, les dix-sept artistes internationaux qui me font l’immense plaisir d’accepter mon invitation mettent en lumière l’incroyable inventivité du monde de la main, longtemps invisibilisé et dénigré. Cette quête de l’esprit du geste ne s’inscrit pas dans une reproduction figée mais dans une interprétation vivante et exaltante, l’occasion d’hybridations plastiques et esthétiques comme un hommage au syncrétisme des cultures d’Islam.
Révélant des affinités et des solidarités entre les cultures perses, indiennes, ottomanes, arabes, berbères et d’Asie centrale, l’exposition présente des œuvres qui explorent des techniques, des motifs, des matières et des récits issus de traditions ancestrales, transmises au fil des siècles et des migrations.
Peinture, installation, sculpture, danse, tapisserie, architecture s’entremêlent pour reformuler un langage de l’art qui crée du lien par-delà les frontières, telle une invitation à s’ouvrir au monde pour faire communauté.
Sonia Recasens
Commissaire de l’exposition
Salle 1
M’Barek Bouhchichi
Muqarnas, 2021
Bois peint et résine, 34x51x26,5 cm
Avec Muqarnas, l’artiste M’Barek Bouhchichi actualise et met à nu un motif emblématique de l’architecture islamique. D’abord structurels puis ornementaux, les muqarnas* qui apparaissent en Irak-Iran entre le 9e et 10e siècle, répandent leur forme en nid d’abeille jusqu’en Andalousie. L’œuvre présentée dans l’exposition se compose de quatre muqarnas : un original en bois peint ; un second muqarnas d’époque restauré par l’artiste avec des couleurs traditionnelles ; un troisième en bois sans pigments ; un quatrième en résine. À travers ce processus de répétition, l’artiste examine et dissèque cet objet comme pour mettre en lumière la complexité et l’ingénierie invisible de ce motif. En reprenant les gestes d’artisans, M’Barek Bouhchichi lutte contre leur disparition et/ou leur industrialisation et nous invite à réfléchir sur la préservation et la transformation du patrimoine.
* Muqarnas : élément architectural initialement destiné à répartir les poussées des voûtes et à passer du plan carré de la salle au plan circulaire de la coupole.
Œuvre produite avec le soutien de la Villa du Parc
Salima Naji
Matbouaates, empreintes, ce qu’il reste, 2024
Installation in situ en bambou et terre crue
Architecte et docteure en anthropologie, Salima Naji défend depuis une vingtaine d’années une architecture du bien commun. Affirmant une démarche d’innovation et de collaboration respectueuse de l’humain et de l’environnement, elle privilégie dans ses projets des matériaux locaux : terre, pierre, pisé, fibres de palmier… S’inspirant de l’histoire et des usages des greniers collectifs, Salima Naji observe et collecte les gestes, les rituels, les matières et les croyances, pour développer des projets de réhabilitation, de restauration et de construction, qui œuvrent à la préservation des techniques ancestrales. Conçue spécialement pour l’exposition, cette installation en terre crue et bambou laisse apparaître les traces de la main, garde l’empreinte de l’esprit du geste. Organique et sensuelle, cette œuvre inédite invite le spectateur à une expérience physique, pour ressentir les propriétés plastiques et enveloppantes de la terre crue.
Œuvre produite avec le soutien de l’ICI
Avec la participation de Valérie et Philippe Serignan
Farah Khelil
éclat (série) : #3, 2023 – #5, 2023 – #8, 2024
Peinture sur faïence, 15×15 cm, 30×30 cm, 100x100x1,6 cm
Témoin oculaire (série) : Ocre, 2023 – Bleu, 2023
Dessin technique mixte, vitre gaufrée, cadre, 21×29,7 cm
Feuillage #1, 2023
Acrylique sur toile et sur bois, document, cartes postales, 29×21 cm
Pan de mur #1, 2023
Acrylique sur toile et sur tasseau, 23×120 cm
Paysage, 2024
Acrylique sur 11 cartes postales de Tunisie, 10×15 cm
Artiste iconographe, Farah Khelil s’approprie des matériaux et des objets comme des livres, des cartes postales, ou encore des carreaux de faïences qu’elle fragmente, dissèque, oblitère. Avec Éclat, l’artiste recouvre de peinture blanche des carreaux de faïence traditionnels tunisiens. Dans cette couche de peinture blanche, qui rappelle la chaux des murs de Sidi Bou Saïd où elle a grandi, elle découpe des éclats et dessine des figures prélevées dans des cartes postales de la Tunisie. Tels des fragments d’un paysage fantasmé, exotisé, les éclats disséminés par l’artiste sur la surface de l’installation composent une cartographie mentale. Puisant dans son histoire personnelle comme dans la pensée théorique, dans la culture populaire comme dans l’histoire de l’art, Farah Khelil questionne la culture visuelle dominante et ses effets sur notre perception du réel. Son œuvre à la fois plastique et conceptuelle affirme une démarche de déconstruction de l’image.
Témoin oculaire, série – Courtesy galerie Lilia Ben Salah
Eclat #8 & Paysage – Œuvres produites avec le soutien de l’ICI
Salle 2
Amina Agueznay
Draâ x Draâ, 2024
9 pièces de laine et coton tissés, app. 50×50 cm et vidéo couleur de 9 min 26 s
Architecte de formation, Amina Agueznay anime depuis une quinzaine d’années des ateliers d’innovation auprès de maîtres artisans dans toutes les régions du Maroc. Dans une démarche presque anthropologique, elle collecte des gestes, des techniques, des motifs et des récits qui nourrissent sa pratique artistique. Elle explique : « Mon atelier est sur le terrain et le processus est beaucoup plus important pour moi que le produit fini ». C’est ce processus créatif ancré dans une expérience humaine intense faite de dialogue, de partage et de collaboration que l’on découvre dans l’installation textile et vidéo Draâ x Draâ*, fruit d’une conversation au long cours avec Zahra El Kaddouri, une maîtresse artisane tisserande de la région de Tiflet. À l’aide de différents exercices, l’artiste pousse l’artisane à prendre conscience de son pouvoir créateur et à s’émanciper de la rigueur géométrique des motifs traditionnels du point chevron ou menchar en arabe dialectal.
* Le terme « Draâ » en arabe dialectal marocain signifie « coudée », soit une unité de mesure correspondant à environ 50 cm.
Amina Agueznay
Portail #2 VARIATION, 2022
Laine, coton et écorce de palmier naturelle tissée, 120x100x10 cm
Invitée par l’architecte et anthropologue Salima Naji au ksar (village fortifié) de Tissekmoudine dans le sud du Maroc, l’artiste Amina Agueznay y rencontre des maalmates ou maîtresses artisanes tisserandes avec qui elle collabore pour créer les tableaux tissés de la série Portail. Inspirée par les motifs gravés sur les portes du ksar, l’œuvre brouille les frontières entre peinture, sculpture, tapisserie et architecture. Le motif du point chevron, que l’on retrouve habituellement sur les tapis traditionnels marocains, est ici dessiné sur des toiles de laine naturelle non teintée à l’aide de fibres de palmier collectées dans l’oasis voisine. L’artiste explique : « Mes œuvres, faites de liaisons et de ramifications, traduisent le potentiel des connexions de personnes autour d’un projet commun, la valeur de la communauté, du maillage social. Plus que tout, c’est un discours sur l’humanité que je propose. Sur ces liens non visibles qui tracent la matrice des relations, par l’échange, l’apprentissage, la transmission. »
Mohamed Amine Hamouda
Jardin oasien, 2024
Fibres animales et végétales, 150×340 cm
Laine de mouton, fibres de palmier, halfa, tiges de corète, jonc de mer, arjun… Voici quelques-unes des matières naturelles et insolites qui nourrissent un vocabulaire de formes, de textures et de couleurs composant l’œuvre monumentale de Mohamed Amine Hamouda. Son processus créatif expérimental puise dans l’environnement de Gabès dans le sud de la Tunisie, où il vit et travaille. Artiste, artisan, botaniste, alchimiste, il documente et explore les potentialités plastiques de matières végétales mal aimées ou en voie de disparition à cause de l’exploitation industrielle et du changement climatique. À travers son œuvre, il met en lumière la richesse d’une biodiversité oasienne en danger, tout en actualisant des techniques ancestrales de tissage. Dans son atelier qui ressemble à un véritable laboratoire, il coupe, nettoie, cuit, sèche, broie des matières destinées au rebut, qu’il vient ainsi sublimer comme dans ce Jardin oasien.
Courtesy A. Gorgi Gallery
Œuvre produite avec le soutien de l’ICI
Salle 3
Selma et Sofiane Ouissi
Laaroussa, 2013
Vidéo de 50 min
Frère et sœur, chorégraphes, danseurs, performeurs et directeurs artistiques, Selma et Sofiane Ouissi créent depuis une quinzaine d’années une œuvre transdisciplinaire, ancrée dans un processus créatif humain fait d’observation, de partage et de collaboration comme en témoigne Laaroussa. Cette vidéo est le fruit d’une résidence de deux ans auprès d’une communauté de potières de la région de Sejnane en Tunisie. Un savoir-faire ancestral, transmis par des générations de femmes et auquel rendent hommage Selma et Sofiane Ouissi. Inspirés par l’énergie et la posture de ces corps au travail, ils collectent les gestes des potières pour composer une chorégraphie originale, comme un alphabet gestuel au plus près de la main de l’artisane. à cette chorégraphie de gestes performée dans le paysage de Sejnane, répond le son des femmes au travail, qui prélèvent la terre à coups de pioche, humidifient leurs mains pour pétrir l’argile, façonnent la poterie, préparent le feu pour la cuisson…
Sara Ouhaddou
Composition graphique (série) : Sharjah, 2017–2023 – Ain Kerma, 2018–2023
Encadrement acier brut, tirage papier coton contrecollé sur alu, 40×40 cm
Portrait d’artisan.e (série) : Fouzia, 2022–2024 – Sans titre, 2024 – Sans titre, 2024
Encadrement en bois de noyer, tirage papier coton contrecollé sur alu, 70×50 cm
Documentation (série) : Wrida, 2023–2024 – Mbarka #2, 2023–2024 – Salon, 2023–2024 – Cimetière, 2021–2023
Tirage papier format poster, 70×90 cm
Photos personnelles (série) : Fadma #1, 2017–2023 – Fadma #2, 2014–2023
Encadrement acier sous verre, 15×10 cm
À la croisée du design et des arts plastiques, l’œuvre protéiforme de Sara Ouhaddou crée des liens sensibles entre les arts traditionnels marocains et les codes de l’art contemporain. Son processus créatif, basé sur des collaborations au long cours avec des communautés artisanales marginalisées, s’ancre dans des perspectives à la fois sociales, historiques, politiques et économiques. Conçues comme des outils d’émancipation, les œuvres de l’artiste sont le fruit d’une complicité de gestes, d’un partage de savoir-faire et d’histoires intimes. Nous découvrons ici les photographies qu’elle a prises au fil des ans et des collaborations, au Maroc et en Tunisie. Avec ces images qui nous plongent dans l’intimité de l’atelier, dans l’environnement de création, Sara Ouhaddou partage avec le spectateur les expériences visuelles, humaines et sensibles qui l’inspirent pour créer une œuvre dont le vocabulaire pluriel compose un langage universel.
Salle 4
Sara Ouhaddou
Siniya d’El Aaroussa 2 (le plateau de la fiancée 2), 2024
Verre soufflé, 32×32 cm
Avec Siniya d’El Aaroussa 2, Sara Ouhaddou détourne les formes, les matières et les couleurs, imaginant une installation précieuse aux allures de vestiges antiques. Réalisés dans les ateliers du Cirva à Marseille, ces objets chimériques sont autant de clins d’œil poétiques à des rituels populaires comme ce plateau de la fiancée (Siniya d’El Aaroussa en darija) composé d’une fiole contenant de l’eau de fleur d’oranger contre le mauvais œil, un bol pour le henné…. L’artiste mène une enquête à la fois archéologique et artistique sur les traces de la production d’objets en verre soufflé au Maroc. Face à la rareté des artefacts issus de cette technique dans les collections des musées marocains, l’artiste créé une bibliothèque fictive de formes, inspirées d’objets du quotidien, dans le but de provoquer une conversation avec des chercheurs, des conservateurs et des artisans et ainsi encourager la réintroduction de ce savoir-faire dans son pays d’origine.
Courtesy Galerie Polaris
Nil Yalter
Les collages de Topak Ev, 1973
Mine de plomb, craies grasses et collage de papiers imprimés sur carton, 60×80 cm
À la croisée de l’art et de l’ethnographie, Les collages de Topak Ev entremêlent les intérêts de l’artiste Nil Yalter pour les questions féministes, les croyances populaires et les conditions de vie de communautés discriminées, comme ici les populations nomades turques. Inspirée par leur mode de vie, l’artiste recrée et modernise leur maison ronde ou Topak Ev, traditionnellement confectionnée par la future mariée qui en réalise l’ornementation intérieure. Parallèlement, Nil Yalter réalise des panneaux muraux composés de dessins, de textes et de photocopies de photographies détaillant les matières – comme la laine de brebis, les peaux de mouton ou le feutre – utilisées pour fabriquer la yourte. Ces œuvres relatent les us et coutumes des peuples nomades : par exemple leur façon d’envelopper le service à thé, ou encore la symbolique des motifs de feutre qui ornent la tente comme celui de l’altai inspiré d’une tête de bélier et très présent chez les peuples nomades d’Asie centrale.
Courtesy Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine
Mythia Kolesar-Dewasne
Transe humance, 1973
Vidéo de 23 min 28 s
Inspirée par le souffle féministe qui anime la scène artistique aux lendemains de 1968, Mythia Kolesar-Dewasne s’empare de la caméra et réalise une série de films expérimentaux comme Transe humance. S’intéressant à la création des artistes femmes, elle accompagne en 1971 Nil Yalter à Niğde, chez les Bektiks de la steppe anatolienne, pour filmer son processus créatif et son environnement d’inspiration. On découvre ainsi Nil Yalter émergeant des peaux de mouton suspendues ; touchant la laine-; parcourant la tente ; palpant les nattes ; ajustant les bandes de feutre… Entre la performance et le rite initiatique, l’artiste exécute une myriade de gestes qui mettent en lumière la dimension matricielle et cosmogonique de Topak Ev. Filmé en super 8, Transe humance de Mythia Kolesar-Dewasne se révèle être à la fois un portrait d’artiste, une vidéo performance et un document ethnographique. Cet objet filmique non identifié fut projeté à l’ARC, au Musée d’Art Moderne de Paris en 1973.
Courtesy Gérard Galby
Nazilya Nagimova
Metamorphosis (série) : Metamorphosis, 2023 – Our ways will never cross, 2023 – Four heavens, 2023 – Two moons, 2022
Feutre, 93×93 cm, 83×83 cm, 98×100 cm, 82×111 cm
The Prayer, 2024
Feutre, 150×85 cm
Peintre de formation, Nazilya Nagimova renoue depuis 2017 avec la pratique du feutrage qu’elle a apprise auprès de ses grands-parents. Fascinée par les propriétés plastiques de ce matériau intrinsèque aux peuples nomades d’Asie centrale depuis la Préhistoire, l’artiste explore les thèmes de la mémoire, de l’identité et de la spiritualité. Les œuvres de la série Metamorphosis et The Prayer sont inspirées du souvenir de sa tante recouverte d’une nuée de papillons pendant qu’elle récitait une prière sur la tombe des ancêtres. Sa tante lui explique alors que ces papillons sont les âmes des défunts. Cette expérience conduit l’artiste à voir la prière comme une pratique multidimensionnelle et lumineuse. Avec ces œuvres d’une puissante poésie, l’artiste nous invite à nous demander : Qu’est-ce qu’une prière ? Quels sont les mondes et les époques qu’elle relie ? Comment renouer avec la pureté et la sincérité de l’enfance pendant la prière afin d’atteindre la légèreté d’un papillon ?
Salle 5
Hoda Afshar
Speak the Wind, 2022
Vidéo de 18 min
Avec la vidéo Speak the Wind, Hoda Afshar explore les mythes et croyances qui hantent les paysages des îles du détroit d’Ormuz, dans le sud-ouest de l’Iran. L’artiste s’intéresse plus particulièrement aux pouvoirs accordés aux vents, considérés comme néfastes et capables de posséder une personne au point de la rendre malade. Intervient alors un rituel composé de musique, de chant, de danse et d’encens pour négocier avec le vent son départ. À la confluence du Golfe Persique et du Golfe d’Oman, les îles ont été traversées par les routes de la soie comme par la traite arabe des esclaves. Fruit de plusieurs siècles d’échanges économiques, le syncrétisme de ce rituel témoigne du métissage culturel des habitants dont certaines croyances trouveraient leurs origines en Afrique de l’Est. À l’étrangeté de ce rituel hybride répond celle d’un paysage surréaliste composé de vallées et de montagnes sculptées par le vent au fil des millénaires.
Courtesy Milani Gallery, Meeanjin, Brisbane
Salle 6
Dilyara Kaipova
Paxta, 2022
Paxta « еги » – Huile de coton, 2022
Coton, soie, 123×190 cm
Issue du monde du théâtre, Dilyara Kaipova explore et actualise depuis une dizaine d’années les techniques artisanales textiles de l’Ouzbékistan. Collaborant avec des artisanes de la région de Marguilan, l’artiste réinterprète les motifs et les techniques de l’abra, une tradition séculaire de tissus de soie et de coton tissés à la main, pour questionner l’histoire et la culture de son pays. Avec les caftans présentés dans l’exposition, l’artiste s’empare du symbole du bulbe de coton – paxta en ouzbek – hérité de la propagande soviétique. Généré par un système ternaire mis au point par NoolOdin, un duo d’artistes cryptographes, le mot se décline en motifs blancs qui rappellent de façon surprenante la calligraphie kufi qui orne les faïences de nombreuses mosquées et madrassas (écoles) d’Ouzbékistan, faisant ainsi le lien entre des savoir-faire anciens et des nouveaux modes de transmission.
Courtesy Aspan Gallery
Rada Akbar
Infinite Power n°4, n°5, n°6, 2024
Peinture sur ciment ou papier découpé, 90×60 cm
Avec la série Infinite Power, l’artiste Rada Akbar ambitionne de tordre le cou à plusieurs préjugés. Elle rend hommage au patrimoine culturel de l’Afghanistan ainsi qu’à la puissance des femmes afghanes, leurs luttes et leurs aspirations à la liberté et à la création. L’artiste revisite avec force et ironie des iconographies célèbres de miniatures persanes mettant en scène des personnages féminins comme cette femme lisant un livre, issue d’une miniature de la cour du Shah Ismail (1501-1524), qu’elle coiffe d’une tête de phœnix pour dire sa résilience. Ces œuvres hybrides entremêlent esthétique historique et éléments contemporains issus de la culture populaire occidentale comme ce bouclier de Captain America. Rada Akbar choisit comme support de ces peintures le tapis, symbole culturel important en Afghanistan et qui témoigne du rôle des femmes dans la préservation de ce savoir-faire ancestral, devenu depuis le retour au pouvoir des Talibans en 2021 un de leur seul espace d’expression autorisé.
Nadira Husain
Somewhere between Love & Fighting (Détour), 2024
Gouache, acrylique et paillettes sur toile, 62×49 cm
Somewhere between Love & Fighting (Elephant), 2024
Acrylique sur toile, aquarelle, miroir sur toile et tissus cousus, 62×49 cm
Butt, 2020
Céramique peinte et émaillée à la main, 39x29x29 cm
The Haunted Museum (série) : Exit Procession Street, 2024 – Hooka, 2024 – Souplesse, 2024
Acrylique sur toile, aquarelle, miroir sur toile et tissus cousus, 62×49 cm
L’œuvre protéiforme et polyphonique de Nadira Husain entremêle une grande diversité de références culturelles traitées sans hiérarchie. Dense et hybride dans le fond comme dans la forme, son œuvre picturale s’affranchit d’un sujet central pour privilégier les superpositions de figures et les couches de motifs répétés à l’infini jusqu’à saturation de la toile, comme dans Somewhere Between Love & Fighting. Véritable voyage optique, la série s’inspire du syncrétisme des miniatures mogholes comme le Hamzamana d’Akbar (1557), qui associe des caractéristiques de la peinture indienne à une composition persane, pour dire les frictions entre deux cultures. Différentes traditions, cultures, techniques et histoires se rencontrent donnant naissance à une réalité polymorphe composée d’identités multiples en constante métamorphose comme dans Haunted Museum.
Butt – Courtesy PSM et Mariane Ibrahim
Séries Somewhere between Love & Fighting & The Haunted Museum – Courtesy PSM
Salle 7
Samta Benyahia
Un certain regard. La mère et la silencieuse transmission, 2024
Installation in situ
Motif principal de l’œuvre de Samta Benyahia depuis une trentaine d’années, le moucharabieh se décline sur les vitres et les murs de l’ICI dans une installation originale et immersive. Passionnée depuis toujours par les signes berbères et les motifs de l’art musulman, l’artiste extrait du portrait photographique noir et blanc de sa maman la rosace qui orne sa robe. Dessinée, reproduite, agrandie et déclinée dans une grande variété de médiums, cette rosace bleue, connue sous le nom de Fatima dans le répertoire arabo-andalou, rend hommage aux femmes algériennes et aux savoir-faire qu’elles portent dans l’invisibilité de la sphère intime. Privilégiant un processus de travail in situ, l’artiste adapte le moucharabieh à l’espace où elle intervient. Cloison ajourée servant traditionnellement à dérober les femmes à la vue de tous, le moucharabieh développé par Samta Benyahia, avec ses jeux d’ombre et ses effets de transparence, invite à une réflexion sur le regard et la place des femmes.
Œuvre produite avec le soutien de l’ICI
Salle 8
Maha Yammine
Une oie, un rossignol, une cigogne, une grue et un faucon, 2024
Vidéo de 10 min 47 s
Bois, cuir, tissus
Douée d’un grand sens de l’écoute et de l’imagination, Maha Yammine recueille des histoires intimes dont elle saisit un détail a priori insignifiant pour produire des œuvres d’une poésie profondément humaine, qui construisent des récits collectifs. Telle une archéologue de la mémoire, l’artiste réactive des souvenirs à travers des protocoles de création où se superposent des dimensions politiques, sociales, culturelles et historiques. Invitée par l’ICI à une résidence de création dans le quartier de la Goutte d’Or, l’artiste a rencontré les artisans de la coopérative La Fabrique de la Goutte d’Or. Au cours de ces échanges, elle a collecté des anecdotes dont elle s’inspire pour écrire un spectacle de marionnettes, comme un conte initiatique, un récit d’apprentissage du métier d’artisan. Son œuvre évoque l’univers de l’enfance et touche notre mémoire visuelle et émotionnelle. La modestie de son processus créatif ancré dans une démarche participative, met en action la mémoire pour réenchanter l’Histoire.
Œuvre produite avec le soutien de l’ICI
Avec la participation de Amadou Barry, Diangana Dijitte, Cheikh Oumar Djim, Luc Dognin, Yolande Loboko, François Monestier, Abou Ouattara, Annie Vallet, Beatrice Vunda